Mademoiselle Précile by Jean-Pierre Charland

Auteur:Jean-Pierre Charland [Charland, Jean-Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Québec
Éditeur: Éditions Hurtubise
Publié: 2020-08-17T12:10:13+00:00

Mais le samedi matin, ce fut avec une certaine anxiété que la jeune femme attendit l’arrivée du dentiste. Son patron entra dans son cabinet sans lui lancer son « Avez-vous bien dormi ? » habituel. Plutôt, il vint se planter devant son bureau, la mine préoccupée.

— Mademoiselle… à propos de la scène, hier.

Auréa demeura immobile, ses beaux yeux posés sur lui.

— Je ne sais pas ce qui lui a pris. Cette histoire est ridicule.

— Oui, monsieur.

— Vous le savez, il ne s’est jamais rien passé avec madame Tremblay.

— Oh ! Moi je ne sais rien, monsieur. Vous gardez la porte du cabinet fermée lors des consultations.

Il la dévisagea un long moment, puis reprit :

— Voyons, vous savez comment je suis !

— Justement, je le sais. Tous les jours, quand vous me parlez de Louis, quand vous me demandez si j’ai bien dormi…

— J’essaie simplement de me montrer attentionné.

— Ah !

Auréa sentait son cœur cogner dans sa poitrine. Jamais elle n’avait été aussi proche de perdre son emploi. Son audace lui tournait la tête : le journal de la veille évoquait à nouveau une chute « modérée » des cours de la bourse. Dans une semaine, ce serait sans doute la hausse du chômage.

— Évidemment, si ça ne vous plaît pas, je ne le ferai plus.

— Ce serait mieux, à moins que vous vouliez en faire un sujet de conversation sur le parvis de l’église.

Elle le menaçait d’ébruiter cette affaire.

Bien sûr, maintenant, il risquait de la remplacer à la première occasion. Mais de toute façon, la menace flottait déjà au-dessus de sa tête. Tôt ou tard, il lui aurait demandé de se faire « affectueuse », pour essuyer un refus. Le dentiste disparut dans son cabinet. Ce ne fut qu’un peu avant midi qu’il revint vers elle pour demander :

— La lettre d’hier… l’avez-vous ramassée ?

— Non, monsieur.

— Je ne l’ai pas vue dans mon cabinet. Vous ne l’auriez pas jetée ? Sans penser à mal, bien sûr.

— Pas du tout. La correspondance qui n’arrive pas à l’adresse de votre bureau, c’est privé.

La jeune femme suggéra :

— Je suppose que madame Picotte l’a gardée.

Le dentiste la regarda, sceptique. À la fin, il hocha la tête et retourna dans son cabinet. Le petit chef-d’œuvre de Lucina était soigneusement rangé dans un tiroir de sa commode, sous ses vêtements. Si jamais elle rejoignait l’armée des chômeurs, le texte ferait le tour de la paroisse Saint-Jacques. Il s’agirait de le montrer « en toute confidentialité » à deux ou trois grenouilles de bénitier.

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